Cette rencontre , je ne l'oublierai jamais non plus ... C'était l'après-midi , on était allés à l'ashram de Balarishi le matin . On est repartis dans les faubourgs , de l'autre côté de Coimbatore ; on a roulé longtemps ,  on a traversé de la banlieue ,  des villages , pour arriver à un temple . Un grand temple ; mais ça ne se voyait pas de l'extérieur . On est rentrés par une petite porte , pour se trouver dans un genre de très grande cour . En face de nous , un autel à Kali ou Durge , bien installée sur son lion , gardée par deux lions couchés . En face , un bâtiment long et bas ; plus loin , un banyan , des vaches blanches et noires comme des Holstein en Alsace ...   Sur la gauche , un bureau  très encombré  ; installé derrière le bureau ,   un type  à moitié à poil , tout gros , l'air pas vraiment soigné de sa personne -  comme aurait dit ma regrettée belle-mère  - avec un de ces énormes chignons des saints hommes qui ont fait voeu de ne jamais couper  leurs cheveux , donnait  un entretien à quelqu'un , un de ses disciples ,ou quelqu'un qui semblait lui demander du secours , avec révérence  ... 

          On nous a envoyés visiter le temple , pendant que l'entretien continuait . Toute  une partie  était dédiée aux vaches  ; les indiens pieux les respectent , ce que j'apprécie beaucoup .  On a marché à petits pas - pieds nus , naturellement - en essayant d'éviter de notre mieux les bouses de vaches et les flaques suspectes .  Il y avait une grande statue de Durge, en bas -relief peint , toute belle et tranquille ,  assise sur son lion ;  gardée par deux lions couchés placés devant elle . Une autre statue, dorée , d'un Dieu-Serpent , ou quelque chose de ce genre ;  au centre de la cour , une longue étable , dont une extrémité comportait un autel et  un plus petit temple .

       Plus proche du bureau , une autre pièce , extrêmement sombre , invraisemblablement encombrée d'objets divers , ce qui m'a fait dés l'abord penser à un bric-à brac de brocanteur ; obscurcie par les  milliers de malas ( chapelets ) composés de rudrakshas , les graines de l'arbre sacré , suspendus aux poutres du plafond  ; mais c'était un temple ,  et ce que j'avais pris pour du bric-à-brac était composé d'objets de culte et de statues de dieux  .

        Des prêtres , des disciples , sont venus dans ce temple pour une bénédiction et des prières du soir , promenant les flamme des bougies devant les statues ; nous assistions en essayant de ne pas mettre les pieds dans la grande flaque d'eau ( d'eau , vraiment ? ) qui occupait une grande partie de l'espace resté libre . Puis , nous  nous sommes approchés du gros homme , j'ai commencé à comprendre que c'était le grand saint reponsable de ce temple :  Srila Sri Neelamalai Siddhar Swami . Il a parlé avec nous , s'est enquis de notre voyage , a bavardé avec Sona , a prononcé nombre de bénédictions - s'arrêtant de temps à autre pour téléphoner avec son portable .

          Je ne sais plus qui , Sona probablement , ou le disciple , habillé à l'occidentale , qui faisait office de traducteur , a dit que le Swami faisait des thémes astrologiques et donnait des noms indiens . Le théme astrologique , ça ne m'intéressait pas trop ; mais le nom indien .. Tiens donc  , il m'a pris un genre de fébrilité , pourquoi pas moi , j'en veux un de nom indien , moi aussi , et moi , et moi , et moi ! Tout le monde voulait un nom indien ! Le Swami  a pris la date précise de naissance de chacun chacune de nous , sauf Sona bien sur qui en a déjà un  ; il a cherché dans un bouquin a couverture rose un peu froissé ; il s'y trouvait notre nom , le nom correspondant  à  notre jour de naissance ... avec l'étoile qui présidait à ce moment là  !  chaque occidental a été rebaptisé , dans les régles , au milieu de réjouissances et d'acclamations , tartiné par le Swami de cendre sacrée sur le front , marqué entre le deux sourcils au moyen de poudre Kumkum , on nous a jeté des poignées de riz  sur la tête ...

          Et voilà . A moi aussi  , on  a donné un nom indien - très beau , celui d'une divinité féminine , comme à chaque personne , mais pas le même ;  et ça m'a touchée profondément ; si profondément que tout l'après-midi , j'avais l'impression que l'intérieur de mon ventre tournait , comme une espèce de vertige dans mes entrailles , parce que je ne savais plus du tout , à  proprement dire  , qui j'étais ...

          Nous avions rendez vous avec cette même guérisseuse  ,  rencontrée précédemment chez elle ,  pour une puja  près de Coimbatore . C'était dans un quartier de banlieue , un lieu   campagnard , à quelques dizaines de mètres d'immeubles à deux ou trois étages ,  assez coquets ; quand nous sommes arrivés , il y avait déjà foule . Un genre de garden party indienne un peu particulière :  feu rituel , prières , chants ,mantras ,un bel ensemble de percussions ;  des dévotes sont entrées en transe , et c'était comme prévu . L'une après l'autre , marchant en avant puis en arrière , la tête renversée , les yeux révulsés , quelquefois des  larmes ou des gémissements  .. puis tout s'est apaisé , et le contenu des énormes marmites de riz et de légumes a été partagé   .  Pendant tout le temps de la cérémonie , les participants , semblant tous heureux , bavardaient cordialement , dans une atmosphère bon enfant ; les gamines chuchotaient en jetant des coups d'oeil de biche à droite et à gauche  , une maman faisait admirer  la beauté de son bébé aux visiteuses occidentales .. Comme un bon moment que nous avons passé tous ensemble . Et je suis sure qu'il y a eu des guérisons, que  l'énergie  bénéfique des  prières s'est répandue sur tous les participants .

               Le nom m'avait étonnée , parce que des Skandashram , j'en connaissais déjà un , minuscule , sur Arunachala , un endroit perdu de la montagne où Ramana Maharshi séjourna  plusieurs années .  Skanda ,  c'est un autre nom de Murugan , qui est un autre nom de Subramanya - le frère de Ganesh . C'est , à la différence de son frère , le pauvre , bien mal loti avec sa tête d'éléphant , un dieu très beau , un perpétuel adolescent , et c'est le Dieu de la guerre . Et ses supporters sont  , en général , très extravertis   cf https://fr.wikipedia.org/wiki/K%C3%A2rttikeya  . Mais au Tamil Nadu , on le vénère parfois comme les chrétiens vénèrent  Dieu , le plus grand ...

« comment Skanda réalisa-t-il un grand carnage de démons » ? Vaishampâtana lui répond qu'un jour, Shiva émit de sa semence, qu'elle tomba dans le feu, mais qu'Agnî ne put la retenir. Gangâ recueillit alors cette semence, et une fois Skanda formé, il fut allaité par les sept Krittika, dans une forêt de bambou ; celles-ci peuvent donc être considérées comme ses mères dans cette version"  

   Bref ... en montant dans les collines à  quelques kilométres de Salem , on arrive à un " Skandashram " , mais immense . Il a été fondé par Santananda Swamigal , un avadhûta , qui était lui même disciple d'un autre avadhûta , qui était disciple d'un avadhûta -juge . ( Là , je vais devoir vous retranscrire l'image de mémoire , parce que le petit livre , qui m'avait touchée ,relatant son histoire , devait être dans le colis , perdu pour une fois , que j'ai envoyé d'Inde ici pour alléger mes bagages .  Et qui n'est pas arrivé . Dommage , il y avait dedans un grand sac en tissu vraiment joli , notamment ... des disques ... )

    Mais voici l'histoire :

          Il était une fois ... à la fin du XIX ème siècle , je crois ... à Travancore , une petite ville du Tamil Nadu ...  un juge . Ce juge , homme très instruit  , absolument intègre et respecté devint président de la Cour ,  employé par le rajah local , et/ou par le gouvernement anglais ,  à leur mutuelle satisfaction ; il avait femme , enfant , maison , domestiques , aisance   ...

        Et puis , un jour , le juge eut à juger un cas de meurtre . On arrêta un homme , que tout accusait , toutes les preuves , les témoignages ... Cependant , l'homme continuait à nier ; et le juge avait l'intime conviction , éblouissante , aveuglante , que ce n'était pas le meurtrier . Cependant , il savait que cet homme allait , obligatoirement puisque tout le désignait ,  être condamné à mort . La veille du procès , le juge passa une nuit terrible ,  sans dormir . Enfin , quelques heures avant l'aube  , incapable de faire face autrement à cette situation , une décision lui vint :  il ôta sans bruit ses vêtements , les plia soigneusement ; et partit .  Laissant sa maison , laissant sa femme ,laissant ses enfants , laissant sa charge de juge ,laissant la considération qui l'entourait , laissant  ses richesses ... il partit de la maison , partit de la ville , partit  dans la forêt : s' abandonnant entièrement à Dieu .  

         Il vécut plusieurs années , ermite dans la forêt . Et c'est ainsi qu'il devint   avadhûta  , homme libre  ...

         Plusieurs années après , il devint célèbre et vénéré , non plus comme juge , mais comme Saint homme ( Judge Swamigal ) ;  il eut un disciple , un seul . Celui-ci devint , à son tour , avadhûta ( et  lui , fut persécuté en tant que tel , notamment par des brahmanes vindicatifs ... ) . Et cet avadhûta eut un disciple  : Swami Santananda - lequel fonda l'ashram qui nous intéresse .

je vous mets deux liens , le deuxième sur un livre écrit par un français ,ce qui m'intrigue tellement que je vais regarder ça .. mais plus tard , il est presque six heures du matin ! temps de se recoucher dans mon lit douillet  , pour moi qui ne suis pas avadhûta ...

http://murugan.org/centers/skandashramam.htm

https://books.google.fr/books?id=6YteAAAAQBAJ&pg=PT86&lpg=PT86&dq=Judge+Samigal&source=bl&ots=wcoZvP0lHX&sig=DyfPghZ0SHsRnuRJkmVvRVs8IDo&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwjRtNWv2YrMAhXLVhQKHQibAo0Q6AEIWjAN#v=onepage&q=Judge%20Samigal&f=false

( note du surlendemain : ce lien me conduit à un livre en anglais , une autobiographie  ; facile à lire , intéressante ,  mais il manque des chapitres sur internet  ... et à un livre -papier , en français " Swami , PDG et moine hindou " ... me reste plus qu'à le commander à la Fnac ! je vous en reparlerai ...  )

         C'était , je crois , le 20 Janvier . Nous avions pris l'autoroute ,  de Vellore à Salem . Un peu avant Salem , nous l'avons quittée pour aller rendre visite , à Dharmaduri , à une guérisseuse dont le nom est , je crois ,  Thavatiru Matha Saraswati Ammayam . Dans la campagne , deux maisons coquettes  , des chiens accueillants , un veau,  attaché à un pilier de la maison ; sa maman , et des copines à elle , paissaient dans un pré un peu plus loin .

        La guérisseuse , une femme à  l'air grave , aux yeux profondément enfoncés dans leurs orbites , vêtue d'un  sari orange pâle , était  en compagnie d'un de ses fils adultes , de son mari , également guérisseurs , et de dévots divers de ce petit ashram ; nous avons été reçus avec les honneurs , surtout Sona qui a eu droit à un lavement de pieds ...  Il y a eu une cérémonie  à l'intérieur de la maison ,  devant plusieurs divinités féminines , puis nous avons reçu sa bénédiction  ...  la guérisseuse est entrée dans un genre de transe , restant debout ,  mais les yeux révulsés .

       Ensuite , retour au calme : on nous avait invités pour le repas ,   en attendant on s'est assis , tous en rond , sur des chaises  qu'on nous avait préparées dans la cour devant la maison , parlant de choses et d'autres ; tout près de l' autel extérieur , où s'alignaient  plusieurs stèles à des dieux serpents ( je suppose)  et des tridents , emblèmes de Shiva . Nos chaises formaient un cercle ; nous nous sommes installés  ...  une grosse araignée a d'un coup jailli du dessous du toit où elle était tranquille ,  dégringolé à une vitesse vertigineuse du toit de la maison ,  elle a couru vers le cercle  ; puis s'est immobilisée :  parfaitement au centre    . Au bout d'un moment , nous nous sommes levés , et le fils de la guérisseuse  l'a écrasée d'un coup de talon de son pied nu - comme sans y penser . Ca m'a fait une impression bizarre . Cette araignée qui attendait sa fin, comme un sacrifice  ... C'était qui , ou quoi ?  Plus tard , le même a écrasé , du même geste faussement désinvolte , un petit citron qui avait été posé à terre tout exprès , un acte de bénédiction que j'ai vu refaire ensuite dans divers endroits .

       Le repas était exquis - on nous a d'abord servi , et les gens de l'ashram n'ont mangé qu'après .  En partant , la guérisseuse a offert un sari à chacune de nous autres voyageuses ( de la confiture aux cochons dans mon cas , car je l'ai laissé en route pour diminuer un peu le volume de ma valise ; maintenant , je regrette un peu  d'avoir manqué de considération pour ce sari , même si je n'aurais su qu'en faire ) . En lui disant au revoir , nous sommes rentrés dans sa petite chambre : sur le lit , un jeune chat tigré s'étirait , sans interrompre  sa sieste à notre entrée . La guérisseuse m'a dit " that's my pet ! " " C'est mon chat favori  ! " ;  pour la première fois  de la matinée , je me suis sentie complice .

                  Alors , là mes amis ... c'était , tout à coup , comme se trouver transportée dans un conte - pas au sens habituel , quand on dit " je me suis retrouvée dans un conte de fée " voulant signifier par là un univers douceâtre à la Walt-Disney . Non , là , c'était- quoi , le château de l'ogre ? de Barbe-Bleue ? J'avais découvert le même endroit il y a à peine deux ans , un genre d'immeuble en construction , une imbrication à Escher de perspectives bizarres , un dédale d'échaffaudages et de culs-de-sacs ; je m'y étais égarée ,  j'avais perdu le reste du groupe , sans apercevoir le propriétaire des lieux - Maha Ananda Siddhar et sans trop m'en soucier  .( voir  http://www.avec-le-lievre-de-mars.com/article-chapitre-91-drole-d-endroit-123148133.html )

        Et alors , la magie .. C'est qu'en deux ans à  peine , la même construction , achevée , immense , trônant au sommet de la colline   avait pris  forme et couleurs -  toujours labyrinthique , mais on comprenait mieux la logique de l'endroit , on percevait qu'il s'y trouvait plusieurs temples offerts à la dévotion des pélerins . Un défilé de statues de déités féminines , grandeur nature si cette expression veut dire la moindre chose sensée  , agrémentait  le premier étage ; si jolies , sensuelles ,   on aurait dit Carpeaux comme style , tellement libres et harmonieuses ;    en contrebas ,  un bassin de dimension pharaonique pour les ablutions ... - et partout du monde , du monde , tellement de monde .. dans les escaliers , les couloirs , devant les autels , à tous les étages , ou assis pour des banquets rustiques servis à une centaine de pélerins ...

                Cette fois , j'étais bien décidée à rencontrer le Siddhar  . On lui a couru après de bas en haut , puis de haut en bas , comme au jeu du furet  ...  Il est passsé par ici , il repassera par là ...  Pour finir par le voir près du bassin . Il était tellement étrange , avec son front tout blanchi , son énorme casque de cheveux poudrés de cendres , que je n'ai pas osé le regarder fixement , ni le prendre en photo de près ( la prochaine fois .. ) .  Un chien est venu le voir , remuant la queue ; le saint l'a touché , de son pied - le chien est littéralement tombé en catalepsie . D'un coup , poum ! il était étendu à terre , les pattes raides ...  Il a mis quelque temps à ser emettre  d'applomb .  Puis est venu , heureux comme tout ,  chercher des caresses auprès du Saint ... J'ai attendu d'être certaine que le chien allait bien pour m'approcher du Siddhar ; j'ai alors touché ses pieds pour demander sa bénédiction .