Comme nous rendions hommage à Chivatam Amma - espérant avoir engrangé dans nos coeurs un peu de sa légèreté d'avadhûta .. - un homme nous avait conviés , avec insistance , à monter au premier étage d'une maison voisine . Une énorme femme , qui se déplaçaçt avec difficultés  , nous y avait acccueilli ; elle nous avait bénis , un par un , puis avait offert à chacun un petit cadeau  étrange ( pour moi , une petite serviette éponge orange clair .. ) , on avait fait des photos , d'elle , d'elle avec nous , de chacun de nous , ensuite , à ses pieds , dans sa toute petite chambre ... le plein de bonheur . 

                 Nous devions ensuite nous rendre au darshan de  Sri Nanagaru ( à Jinnuru ) en milieu d'après-midi . On traversait des paysages avec ce vert incroyable des rizières ,  de l'eau partout ..

              On est arrivés dans un genre de banlieue plaisante , avec des jardins , des petites maisons coquettes , des étangs et des canaux .  Le darshan n'avait pas encore commencé , on nous a fait nous installer dans une courette , au milieu d'une cinquantaine de disciples  Je n'en attendais pas grand chose - on était venus en 2014 , Nannaguru venait d'avoir de gros ennuis de santé et m'avait donné l'impression d'un vieux monsieur un peu éteint .

             Mais là , saperlipopette ! Quelle énergie ! Mais surtout , pour quelqu'un qui fait l'éloge du silence , ce qu'il était bavard ! par contre  ... surtout en Telugu ; une langue dont l'écriture est ravissante , toute ronde et douce à l'oeil et fluide , et qui coule pareillement à l'oreille . De temps en temps , dans ce babil vertigineux , on distinguait un mot d'anglais compréhensible ...  mais impossible de suivre  ce qu'il disait , bien sur .  Pourtant , quand  un membre de notre petit groupe  a posé une question ,  que la disciple la plus proche de Nannagaru a , Dieu merci ,  répété en anglais bien clairement énoncé , la réponse  de Nannagaru  était lumineuse et particulièrement adaptée : je me souviens qu'à ce gars , qui paraissait si souvent parler du fond d'une profonde souffrance  , mais voulait , veut , à tout prix , atteindre l'Eveil , le But ,   il a dit : " Enjoy the path ! " .. ( prenez plaisir au chemin ) . Bien sur , il ne lui a pas dit que ça , même si c'est ça que j'ai retenu presque uniquement .

                Quand à moi , qui " enjoy the path " tant et plus  , musarde par le chemin des écoliers et ne m'inquiéte plus trop d'un " but "  à atteindre coûte que coûte , j'ai posé une question volontairement simple - question banalement posée à des gurus , je voulais voir comment lui répondait  . Je lui ai demandé " Quelle est l'origine de la souffrance ? " - il a commencé à babiller d'abondance en Telugu ; puis , bien clairement au milieu de cette rivière de mots glougloutante , au flux intarrissable  qui m'étourdissait un peu ,  il m'a dit en me regardant bien dans les yeux : la souffrance vient   de  " I am the doer " illusion " . Je crois que c'était ses termes .   ( l'illusion du moi , l'illusion que c'est moi qui fais .. moi qui agis .. moi qui suis malheureuse .. moi qui  ...  )  . Ca , dit comme ça , c'était précieux :   une pépite d'or , un caillou scintillant au fond de la rivière  qui court sans cesse ...      

        Puis , je lui ai reposé une question supplémentaire ,  au sujet de la souffrance des animaux ; il m'a dit , avec gentillesse , que je m'identifiais à eux - ça , je m'en doutais - et , notamment , qu'il faudrait que je fasse plus pour eux . Entendu ... Après quoi , il a recommencé à parler parler parler à ses disciples en Telugu . Mais c'est drôle , ça ne m'agaçait pas du tout : au contraire , je gardais les mots reçus , tout ramassés ,  dans mes mains , avec l'impression d'avoir reçu un trésor .

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