A Jillelamudi il y a l'ashram d'une dame tout à fait exceptionnelle ; et ça a été mon troisième coup de foudre du voyage , bien que je ne m'en sois rendu compte que bien après  .. je peine en ce moment à lire un livre d'entretiens qu'elle a donnés ; pas seulement parce que c'est en anglais , mais parce que chaque phrase est très dense , quelquefois très surprenante et paradoxale , mais riche - vous savez , c'est le genre de livre qui donne l'impression , en lisant , qu'on est sur le bord extrême , que dans une seconde toutes vos habitudes de pensée vont s'écrouler et qu'on va atteindre le même bonheur inconditionnel , la même paix que cette dame .. Et puis non , en ce qui me concerne , les habitudes de pensée ont la vie dure ; ou c'est peut-être mon prarabdha karma * dans cette vie que je sois là à continuer à jacasser . Si je comprends bien son enseignement , d'ailleurs , c'est tout simple : tout est voulu et décidé par Dieu , par la Shakti ; ou plutôt tout , tout , tout ce qui arrive est la Shakti - et là est la joie infinie . OM ! C'est un peu abrupt , quand vous êtes là à barboter dans vos angoisses parce que vous craignez de ne plus arriver à payer votre loyer ou parce que vous avez un bobo qui ne guérit pas ; mais c'est une joie et une insouciance contagieuses , aussi . Et c'est ce que je viens chercher ...

            On était arrivés en fin d'après-midi dans cet ashram presque aquatique , entouré de  rizières et d' étangs - je commençais à m'angoisser en pensant aux moustiques .. et bien sur ,  comme dit Michel Simon dans Drôle de Drame : à force d'écrire des choses horribles , les choses horribles finissent par arriver - donc pas de problème , pour me conforter dans mon opinion les moustiques sont arrivés  en force ;  et se sont précipités sur mes mollets - à travers le pantalon , youpi . Nous étions attendus , on nous a reçus avec les honneurs (  je faisais la gueule , bouffée par les moustiques et dansant d'un pied sur l'autre .tout en essayant frénétiquement de me gratter sans que ça se voie trop . ) On  nous a proposé des chambres immenses ,  dans un ashram tout beau tout neuf tout propre , même pas fini de construire - en fait ça n'était pas des chambres mais de vrais appartements .. Chance des chances , le nôtre ( à Martine et à moi )  était au rez-de-chaussée , avec : des lits de sangles tout à fait confortables , et puis des oreillers et des matelas neufs , et  des moustiquaires ..  j'en pleurais de joie , de voir ces oreillers .. ( eh oui , ce mental conditionné à apprécier le propre .. )  . Nous arrivions pile poil pour la puja du soir - comme je n'avais pas lu l'intégralité du programme pourtant concocté avec amour par notre organisateur , je ne savais même pas qui on allait voir et de qui c'était l'ashram . Un peu muffle , je m'en rends compte maintenant . Mais j'avais des excuses .. comme je vois quand je soupése les kilos de bouquins récoltés au cours du voyage .Ou plutôt , les enseignements spirituels ne sont pas mon unique intérêt , je papillonne et je papillonne .. Pff , quelle importance , tu ne vas pas culpabiliser , c'est la Shakti ! 

       Donc , on s'installe , on visite un peu ; il y a des petits temples très soignés , en gris et blanc , dans le jardinets ; dans le principal corps de logis , un autel avec des photos ; une dame âgée chante seule , un mantra assez long en l'honneur de la sainte   ; un chant magnifique , pas du tout le genre de mantra avec une musique simplette qui fait penser à un chant militaire de chez nous genre soldat lève-toi soldat lève toi soldat lève toi bien vite , non  , une mélodie subtile  comme les mantras de l'Inde du Nord que nous faisait travailler Adam , mélodie dont je regretterai après ( on appelle ça l'esprit d'escalier , je crois ) de ne pas avoir essayé de m'en procurer une version . Puis , on nous sert un repas ; on me dit que cette dame opérait des guérisons mais qu'elle n'avait pas pu guérir sa fille , morte jeune .

     Le lendemain , 13 Janvier : merveilleux  , ils fêtent aussi Pongal en Andhra Pradesh ! il y a des kolams partout devant les maisons ! De bon matin , on promène  dans le village en admirant les oeuvres devant les entrées . Devant une cabane , où les kolams sont particulièrement splendides  sur la courette fraîchement recouverte de  bouse de vache diluée  on voudrait photographier les artistes , mais elles sont extrêmement timides - la famille se déride petit à petit , en commençant par les petites filles .. et finalement , toutes les femmes , la grand-mère , la maman , les petites filles  ( dessiner un kolam est l'art traditionnel des femmes , et je peux vous dire , moi qui ai pourtant l'habitude de dessiner que c'est pas évident de faire un trait  en tenant la poudre dans sa main droite et en laissant couler un tout petit filet bien régulier .. ) , plus les deux petits garçons , acceptent de se laisser photographier devant la maison ( N.B je passerai un bon petit moment à me nettoyer les pieds après , parce que la bouse de vache n'était pas vraiment tout à fait sèche .. )