Sarnath est  un village , à une quinzaine de kilométres de Bénarés , et c'est l'endroit où le Boudha a fait son premier sermon  dans le Parc aux Gazelles . Ou Parc aux daims . Ou aux cerfs , personne n'est encore là pour préciser . Nous avions passé la nuit dans le train , ce que j'ai trouvé confortable pour ma part parce que je me suis trouvée  par chance dans un compartiment à 4 couchettes  ( dans un compartiment à 6 couchettes , on ne peut s'asseoir , ce que j'ignorais )  . Le grand luxe , même avec la présence sur la couchette d'en face d'un indien moustachu au ventre opulent qui aurait sans effort gagné la première place s'il  existait des concours de ronflements .

        Nous nous sommes installés dans un monastère thaï  paisible , avec un grand parc  plein d'arbres  et de fleurs , agrémenté d' une immense statue du Boudha . Contemporaine , la statue , mais ça ne se voit pas , elle pourrait avoir cinq cent ans que ça serait le même style ; je la trouvais très belle , ainsi que les statues plus petites qui ornent sa base .

       Mais où l'orgueil - ou l'intérêt -  vont-ils  se nicher , une pancarte prévient les gens qui marchent sur la route que c'est bien là , oui là , qu'ils pourront faire leurs dévotions au pied de cette gigantesque statue , quatre vingt pieds neuf pouces au garrot .. J'avoue que j'avais une petite tendance à idéaliser les boudhistes , je pensais qu'ils étaient tous comme Deshimaru ou le Dalaï Lama . Je crois que c'est là que j'ai commencé à m'interroger .  

        Je ne m'étais jamais arrêtée longtemps à Delhi , et avais alors dormi à l'ashram  Sri Aurobindo , un peu glacial au début Février mais porteur d'une énergie magnifique : je me souviens y avoir été transportée à tire-d'aile vers un état méditatif  profond , malgré la proximité de l'aéroport qui fait que les avions de ligne passent presque en rase-mottes au dessus des bâtiments .  

        Le matin du 11 Février , un membre éminent de l'agence " Soul of India " était venu m'attendre à l'aéroport  pour que je puisse rejoindre le petit groupe de voyageurs . Membre éminent , mais la photo de ce monsieur Atul , qu'on m'avait fait parvenir  , ne m'aurait jamais permis de m'en douter : une de ces photos pour le passeport sur lesquelles un visage  tendu , tellement dépourvu de toute expression qu'il en apparait stupide , les cheveux rabattus en arrière ,  m'avait fait estimer impossible de reconnaître ledit Atul .  J'ai donc été soulagée de voir quelqu'un qui portait une pancarte avec mon nom à l'arrivée de l'avion de Chennai . Je n'ai d'abord remarqué que son sourire rayonnant et sa gentillesse ;  avant de m'apercevoir aux plaisanteries échangées par les jeunes femmes que ce jeune homme était mignon comme tout ( faut dire , je n'étais pas vraiment intéressée ...  ) et que le sourire était propriété du sosie indien de Grégory Peck . Un Gregory  Peck de vingt-quatre ans , un peu plus petit que l'original , avec la peau d'un ton plus foncée  , et quel sourire , grands Dieux , quel sourire ! Avec ça ,   gentil comme tout , désireux de plaire ( et de favoriser son avancement dans l'entreprise ) , qui s'est saisi de ma valise avec enthousiasme - les femmes d'un certain âge , et mes cheveux sont maintenant presque blancs , sont souvent traitées avec grand respect , parfaitement immérité dans mon cas  .  

                L'hôtel où nous logions était grand luxe , pour moi qui sortais de huit jours monacaux à l'ashram  : eau chaude  à volonté , sèche cheveux et bouilloire dans la chambre , corbeille de fruits ,  matelas moëlleux ,  draps et oreillers immaculés ... Le Paradis .  Pour les arrivants occidentaux ,  horrifiés par les chambres petites , sans fenêtres , le quartier peu reluisant .. l'Enfer , ou tout au moins le Purgatoire  .  Il était situé tout à côté de la gare de Delhi , un quartier  passionnant : j'ai découvert le Main Market de Delhi où l'on peut faire des affaires incroyables - j'en étais malade , tout était deux fois moins cher qu'à Tiruvannamalai !

           Juste devant la porte , quelle tentation ! une fabrique de statues de Hanuman .. Un peu trop lourdes pour mettre dans ma valise , malheureusement . J'imagine la tête de Philippe en les voyant installées dans le jardin ... ( Surprise ! mon chéri .. ) Et encore , c'était des statues plutôt sobres et monochromes ; certains portraits de Hanuman , avec des traits vraiment humains , une peau blanche et  de grands yeux pleins de sentimentalité , sont  à vomir . Sinon , Hanuman incarne le dévouement , la foi qui soulève les montagnes ( il est le héros du Ramayana ) ; dans le yoga que je pratique il y a une posture qui lui correspond . Un Dieu que j'aime bien , quoique dans la réalité je n'apprécie guère les singes .

                Donc ,  à l'ashram , ils sont bien traités et souvent  nourris de restes . Les nuits sont encore fraîches  , certains se creusent un genre de nid dans le sable de la cour proche du réfectoire  . Et je n'en ai pas vu de galeux dans les environs  -  il me semble d'ailleurs avoir vu l'adresse d'une association d'aide aux animaux sur place , des allemands ou des américains  ( certains occidentaux sont fixés là toute l'année  ) . Je me souviens aussi qu'il y a deux ans , dans le grand temple de Shiva , c'est à dire dans la partie indienne de la ville , à deux kilométres de l'ashram , un indien , venu prier avec sa femme et son gamin ,  était allé chercher des biscuits pour nourrir une chienne affamée et ses petits ( alors que dans le Sud profond , que j'adore par ailleurs , j'ai vu le gardien d'un immense temple caillasser cruellement des bébés chiens que leur mère tentait d'allaiter dans un endroit calme )

Ramana Maharshi et Lakshmi 

     Une des choses qui m'ont enchantée lorsque j'en ai su un peu plus au sujet de Ramana Maharshi , c'est qu'il aimait les animaux et les défendait . Une des choses qui m'ont horrifiée quand j'ai découvert l'Inde , c'est le peu de cas qu'on y fait des animaux . J'ai cherché ce matin des pistes d'associations de défense animale en Inde ( j'en reparlerai ) , ai piqué un coup de colère et de désespoir à cause de tous les articles , de blog ou d'agences de voyages , qui avertissent plaisamment les touristes qu'on y trouve des vaches à tous les coins de rue parce que la vache est sacrée . Ah , ah , ah . La vache sacrée , my ass ... Chaque année , je hurle en voyant ces vaches  affamées qui  errent dans les villes , petites ou grandes , parce que les propriétaires n'ont pas suffisamment d'argent ou pas l'énergie de leur donner de la nourriture et qu'ils comptent qu'elles trouveront suffisamment dans les tas d'ordures . Autrefois ,peut-être que les épluchures abondaient . Maintenant , elles bouffent surtout des sacs plastiques . Ca me fait hurler .Eh oui , c'est pas le tout d'être végétarien ...

     A la campagne , en général ,  on voit qu'elles passent leurs journées normalement , c'est à dire en broutant . De l'herbe . Ou qu'elles ont du foin et de la paille à portée . Dans le Sud et en particulier à  Tiruvannamalai , les boeufs servent pour tirer des chars , donc les paysans s'occupent de leur nourriture . Et à l'ashram de Tiru , comme dans plusieurs ashrams que j'ai visités , (  Anandashram  dans le Kerala ,  Shanti Ashram en Andra Pradesh , notamment )  , les vaches laitières sont traitées avec considération , et donnent du lait . Mais les ashrams sont des endroits particuliers  ... des havres , des ilots de silence , de propreté , de bonheur . Pour tout le monde , les humains comme les vaches .  

      Bref , pour revenir à Lakshmi en particulier , c'était le nom d'une vache qu'un paysan avait donnée , toute petite , au grand saint local ; lequel avait essayé de refuser , en vain .. Lakshmi était devenue la mascotte de l'ashram , on raconte qu'elle accompagnait Ramana Maharshi dans sa promenade et qu'elle n'était pas comme les autres vaches , qu'il y avait entre eux une relation toute particulière . A sa mort , le Maharshi a dit qu'elle avait atteint l'éveil ;  elle a été enterrée dans l'enceinte de l'ashram  , on lui a fait un mausolée avec une jolie statue . Quand j'y suis passée l'autre matin , il y avait justement une  puja ; et ça m'a mis du baume au coeur .  Le brahmane qui s'occuppe de la cérémonie a une belle bouée autour de la taille , et ça se voit souvent chez les prêtres , trop gourmands ? Bon , on ne peut pas dire que le dhoti mette vraiment la silhouette en valeur , mais tout de même ...  Eh oui , c'est pas le tout d'être végétarien ...

       Je suis rentrée en France depuis cinq jours ; à la maison depuis hier soir - et pour une fois , écoeurée de l'Inde . Marre , marre , marre , des plastiques qui grouillent  comme une épidémie impossible à enrayer , marre des chiens misérables et galeux , des chiots mourants dans le caniveau  , des vaches affamées errant perdues dans la circulation des villes , des gamins de deux ans déjà dressés à vous suivre en pleurant d'une voix qui déchire le coeur , marre du bruit des klaxons des rickshaws ... Trop , trop , trop ...   

        Même , je ne pouvais penser à Tiru sans penser au petit égout crade , sac plastiques et boue et excrément mêlés  ,  derrière le café  où les occidentaux aiment se retrouver pour un petit dej  non idien (  pas moi ! )  ...

       Et je me disais que je ne veux plus y revenir . Non , même pour le darshan de Shiva Shakti Ammayar .  A la rigueur , un séjour à Rishikesh pour revoir Mooji  .

       Et puis , cet après-midi j'ai enregistré mes photos . Et je me suis souvenue , le premier matin à l'ashram , le soleil n'était pas levé , il y avait  ce paon blanc tout au sommet d'un arbre  , je me souviens  comment la vision de cette cascade lumineuse de plumes m'avait émerveillée  , telle une bénédiction à l'arrivée ...

     Alors , quoi ? Alors , me voilà  tirée à hue et à dia , entre le trop beau , le trop magique , le trop horrible ,   avec une si grande violence - et je ne sais plus .